Gustie à Berlin
installation et texte
Gustie à Berlin – Kristallnacht
9 et 10 novembre 1938
Je ne sais plus où nous étions lorsque Gustie m’a raconté cette histoire. Debout dans sa cuisine ? Assises sur son sofa ? Rien, je ne me souviens de rien. Seulement de ses yeux bleus, des dents du bonheur, des tâches de rousseur, du sourire sous les rides. Son accent à couper au couteau. Pour les autres, un accent allemand, pour moi, un accent de famille. En l’écoutant, je me souvenais qu’on disait de sa sœur Amalia, qu’elle voulait deux choses dans la vie : savoir parler français sans accent et savoir bronzer. Un échec total.
– J’ai fait un gâteau.
Chez les Bronner, on fait toujours des gâteaux pour trente, même quand on est deux. Peut-être qu’on est obligé de prévoir pour les morts aussi.
– Non, je te remercie, je sors de table…
Elle me sert du gâteau.
– Mange le gâteau…
Je mange le gâteau. On parle de Berlin. L’immeuble où ils habitaient tous. Chacun, un étage.
– L’appartement était très grand. On faisait toutes les fêtes à la maison, les mariages, les bar-mitzvah…Toute la vaisselle de fête était rangée dans les faux plafonds. La vaisselle pour le lait, pour la viande, pour Pâques, ça faisait vraiment beaucoup de vaisselle. Alors, on mettait tout là-haut, dans les faux-plafonds…
En disant cela, elle lève les bras au ciel comme si la vaisselle était encore au-dessus de sa tête. Ils sont partis de Berlin très tard. Les Bronner étaient des optimistes. Est-ce qu’on a toujours raison de l’être.
– Tu sais, cette nuit là, on n’était pas chez nous. Quand on est revenu le lendemain…Ils avaient détruit tous les faux-plafonds. Je ne sais pas pourquoi, peut-être ils ont cru des gens étaient cachés là…Comment ils ont réussi à faire ça, avec des fusils, des bâtons peut-être. Toute la vaisselle était tombée des plafonds, et nous, on est entré dans l’appartement…Toute la vaisselle, comme ça, par terre, cassée…Je me souviens, je marchais, j’avais la vaisselle jusqu’aux genoux.
Où ont-ils passé cette nuit-là. Chez qui. Tous ensemble. Ou non. Est-ce que c’est ça qui les a décidé à partir. Je ne sais rien. Est-ce qu’ils ont vu la Alte Neue Synagogue brûler. Est-ce que c’est celle-là où ils allaient. Peut-être la plus petite, tout près de chez eux. Je ne sais rien. J’aurais dû lui demander comment était cette vaisselle.