Emballements
installation et texte
Emballement
J’ai rassemblé des objets que je ne peux pas jeter.
Debout sur un escabeau, ma mère tient dans ses mains un paquet plat, soigneusement emballé dans du papier de soie. « C’est la chemise que ton père portait à l’enterrement de sa mère. Il avait choisi sa plus belle. C’est une chemise blanche. Il l’a déchirée au cimetière.» C’est comme ça qu’on fait, j’aurais préféré ne jamais le savoir. Ma mère n’a pas brûlé cette chemise. Elle aurait dû. Je suppose qu’elle n’a pas pu. C’était il y a longtemps. C’était hier.
J’ai rassemblé des chemises blanches. Trop vieilles pour être portées. Je n’arrive pas non plus à les jeter. J’en ai fait des lambeaux.
J’ai brûlé un morceau de la chemise, celle que je portais à l’enterrement de mon père. Je l’avais retrouvée par hasard au fond d’un placard. Derrière des piles de vêtements, ma main avait tiré à l’aveugle un sac en plastique, enroulé sur lui-même, je ne savais plus ce qu’il contenait, je cherchais autre chose. La chemise était déchirée de l’épaule au troisième bouton. C’est à la déchirure que je l’ai reconnue. Je l’avais portée durant les sept jours de deuil. J’en ai brulé un morceau, j’ai jeté le reste dans un sac poubelle fermé à double tour par un lien transparent. C’était il y a longtemps. C’était hier.
Aujourd’hui, vendredi, j’ai déchiré des chemises, j’en ai fait des lambeaux, j’ai emballé des objets et je suis parvenue à oublier un certain nombre de choses.
Géraldine Cario SBFP
Paris, juin 2012