Paris-Odessa – Part II
installation et texte
Lettre d’intention
PARIS-ODESSA
Voyage en clair-obscur
J’ai entrepris un périple en train qui m’a menée de Paris à Odessa, de France en
Ukraine. Je suis passée par tous les lieux dont j’avais entendu parler dans mon enfance
sans jamais avoir pris le temps de les situer sur une carte. Par le seul biais des
changements de noms de villes, de pays ou de rues, et des tribulations d’une famille
juive européenne – comme il en a existé tant d’autres – s’est dessinée en contre-jour
l’histoire tourmentée de l’Europe au XXème siècle et jusqu’à nos jours.
Je ne me définis ni comme photographe ni comme écrivain, pourtant c’est une
exposition de photos et de textes. Des photos comme une prise de notes, des textes
comme des pensées labiles qui s’attrapent au fil de l’eau. J’ai choisi pour habiter le lieu
d’exposition vingt photographies sur plus de 2 500 prises au cours du voyage. C’est
une exposition fractale dans le sens où elle donne une idée de l’ensemble de ces
photographies, et adaptable car le nombre de photographies dépend du lieu où elles
sont montrées.
Les photographies sont montrées sous forme de diapositives géantes. Les proportions
d’une diapositive classique ont été conservées, seulement agrandies comme au
microscope. La réalité est un étrange insecte qui mérite qu’on se penche sur sa
physionomie. Ce parti pris, ainsi que des films transparents utilisés usuellement pour
imprimer des négatifs, des filtres de cinéma donnent aux photos un grain imprécis,
qui rend leur datation incertaine. En utilisant un procédé de monstration dépassé
pour enserrer des photographies, somme toute contemporaines, il s’agit encore de
jouer avec les temporalités. En un même coup d’oeil, les temps se mélangent, les
histoires se croisent. Reste la sensation du voyage et du déplacement. Et comme en
voix off, des phrases, parfois, se superposent aux images. On y croise des paysages où
l’on n’ira jamais vraiment, entraperçus à travers des vitres de train, des chambres
d’hôtel désertes, des immeubles habités par des inconnus, des noms connus mais
finalement inconnaissables.
J’ai parfois compartimenté sur une même diapositive plusieurs photos, comme s’il
était possible de concentrer et d’adopter différentes perspectives en un geste unique,
en un seul instant.
Les diapositives sont rétro-éclairées. La lumière, ce qui la retient ou la révèle, est une
métaphore centrale dans mon travail et particulièrement dans cette série ; c’est un
voyage en clair-obscur où l’on va quérir la lumière pour écarter le néant.
Ce voyage est une traversée des absences, un pointeur de notre solitude ontologique,
de notre voyage à chacun singulier, et pourtant c’est une traversée qui se partage. Il
tient d’une conversation silencieuse avec soi-même, avec les générations qui nous ont
précédés et ceux qui, aujourd’hui, regardent.